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Mantegna

 

  1. Padoue, Carrefour artistique

Entre 1440 et 1460, Padoue est l’un des centres artistiques les plus brillants d’Italie. Cette ville de tradition universitaire devient un lieu d’expérimentation où, dans un va-et-vient permanent, des artistes de toutes origines proposent des solutions figuratives résolument novatrices : beaucoup ont été attirés par la présence de Donatello, le génial sculpteur florentin, venu de 1443 à 1454 travailler au monument équestre du Gattamelata et à l’autel en bronze de la basilique Sant’Antonio.

Mantegna vit pleinement cette fièvre de renouveau. En 1445, tout juste adolescent, il est déjà mentionné comme peintre et fréquente depuis plusieurs années l’atelier de Francesco Squarcione, lui-même peintre et tailleur, qui a su attirer à lui de nombreux disciples – dont Nicolò Pizzolo, Marco Zoppo et Giorgio Schiavone – venus étudier chez lui les objets antiques et prendre connaissance des dernières inventions toscanes.

L’emprise des modèles sculpturaux sur la peinture est très forte à Padoue comme l’illustrent le Saint Marc de Mantegna, dont le cadrage à mi-corps dérive de compositions donatelliennes en terre cuite ou en bronze, et la Sainte Euphémie, conçue comme une statue dans une niche, mais prête, à son tour, à être aisément reproduite en sculpture.

 


Saint Marc

 

  1. Andrea Mantegna et Giovanni Bellini

En 1453, Mantegna épouse Nicolosia, la soeur de Giovanni Bellini, et noue ainsi des rapports étroits avec le plus grand atelier de peinture à Venise, que dirige son beau-père Jacopo. Les échanges intenses d’idées entre les deux beaux-frères et le jeu d’influences qui en résulte auront des répercussions fondamentales sur les destinées de la peinture en Italie.

Des personnages qui composent le Polyptyque de saint Luc, entrepris par Mantegna en 1453, c’est la Sainte Justine qui se ressent le plus de la veine tendre de Giovanni Bellini, comme la Vierge et l’Enfant entourés de deux saints que son style incite à placer dans ces mêmes années.

 

Sainte Justine

 

  1. Autour du triptyque de San Zeno de Vérone


De 1456 à 1459, Mantegna se consacre à la réalisation du triptyque monumental commandé par Gregorio Correr, l'abbé du couvent bénédictin de San Zeno de Vérone. Les panneaux principaux sont toujours en place sur le maître-autel de l'église tandis que les éléments de la prédelle sont divisés entre Tours et Paris. Pour agencer ses personnages au sein du vestibule à l'antique qui court sur la largeur du registre central, l'artiste prend pour modèle l'autel en bronze de Donatello au Santo de Padoue. Dans un souci poussé d'illusionnisme, il fait coïncider la lumière réelle de l'édifice, venue d'une fenêtre sur la droite, avec celle de l'espace fictif du tableau, et juxtapose les colonnes du cadre sculpté aux pilastres de la loggia peinte.

Les trois panneaux de la prédelle trahissent sa fascination pour l'art des maîtres flamands dont il a pu voir des exemples en Vénétie : comme dans l'Adoration des bergers, il multiplie les notations réalistes. Le sens profond de la nature qui transparaît ici, la douceur de certains personnages doivent beaucoup à Giovanni Bellini dont il est encore très proche. Mais après ce moment de poésie intense, Mantegna revient au style plus austère et cérébral, adopté quelques années plus tôt dans la Prière au jardin des oliviers de Londres.

 

 

Le jardin aux oliviers

 

La crucifixion

 

La résurrection

 

 

L’adoration des bergers

 

 

  1. Saint Sébastien

Le tableau provient de l'église d'Aigueperse en Auvergne. Sa présence dans la région pourrait s’expliquer s’il a été offert à l’occasion du mariage, en 1481, de la fille du protecteur de Mantegna, Federico Gonzaga, marquis de Mantoue, avec Gilbert de Bourbon, comte de Montpensier. L’œuvre reflète la fascination de Mantegna pour l'Antiquité et illustre son habileté dans les effets de perspective : le corps du saint martyr, vu en contre-plongée, s’impose au spectateur par sa monumentalité.

 

 

 

 

Le Saint Sébastien d'Aigueperse

 

 

Une œuvre de dévotion

La dévotion à saint Sébastien, protecteur contre la peste, était très forte au XVe siècle. L’iconographie traditionnelle est ici renouvelée par l’introduction de nombreuses références à l’Antiquité. Mantegna s’est livré avec passion à la redécouverte de l’Antiquité, encouragé par son maître Squarcione et par ses fréquentations dans les milieux humanistes padouans. Ses citations archéologiques précises n’entravent pas sa liberté d’invention, comme en témoigne le chapiteau composite qui coiffe la colonne ou les architectures fantaisistes qui animent le paysage. Le mélange des styles architecturaux exprime la continuité entre le monde antique et le monde chrétien selon un thème cher aux humanistes. L’aspect dévotionnel de l’œuvre demeure : le fragment de pied sculpté placé à côté du pied du saint exprime le triomphe du monde chrétien sur le monde païen par le sacrifice et le traitement du corps à l’antique concède à la tradition iconographique le bas du torse, criblé de flèches.

 

L'obsession du détail

L’œuvre est révélatrice du goût perfectionniste du détail chez Mantegna. Cette application donne à ses tableaux leur aspect admirablement fini, mais implique un travail lent. Elle révèle peut être l’influence de la peinture flamande dont Mantegna a pu voir des exemples dans sa jeunesse à Ferrare. Alors que se diffuse en Italie l’usage de la peinture à l’huile, Mantegna privilégie une technique raffinée, la tempera sur toile dont les effets sont la matité qui rappelle celle des fresques et met en valeur son dessin incisif et l’opacité qui accentue le dessin des formes et la sévérité du chromatisme. Le résultat est proche de la gravure qu’il pratique entre 1470 et 1485. Le saisissement minéral des formes évoque également la sculpture, l’art majeur à la Renaissance. Squarcione aurait d’ailleurs reproché à son ancien élève : « ses peintures [qui] ne ressemblaient pas à des modèles vivants mais à des statues antiques ». Mantegna va au bout de ce procédé en peignant à la fin de sa vie des reliefs antiques en trompe-l’œil.

 

L'art du trompe l'oeil

Que ce soit dans la réalisation de sculptures ou d’architectures feintes (voir le faux oculus du décor de la Chambre des Epoux à Mantoue), Mantegna s’impose comme un maître du trompe l’œil. Cet artifice de peintre apparaît ici dans la mise en place d’un faux encadrement de porphyre qui fait fonction d’ouverture fictive sur l’espace pictural. Il évoque la théorie développée par Alberti dans son De Pictura (1435) selon laquelle la peinture est une fenêtre ouverte sur la réalité. Les deux bourreaux, audacieusement coupés à hauteur d’épaule, contribuent à cet effet illusionniste qu’affectionne Mantegna et que l’on retrouve dans d’autres œuvres (comme La Crucifixion INV 368). Le spectateur invité à se placer à la hauteur des archers adopte leur point de vue : il est humble devant le corps sculptural du saint qui s’impose tel un mur devant son regard. Le point de fuite placé très bas, la vue en contre-plongée, la maîtrise du raccourci, donnent au supplicié cet aspect monumental et solennel.

 

 

Saint Sébastien (Autriche)

 

  1. Le Studiolo d’Isabelle d’Este

La mode des cabinets de travail, petites pièces privées réservées aux activités intellectuelles, se répand au XVe siècle dans les cours italiennes, baignées de culture humaniste.

Isabelle d’Este, qui a épousé en 1490 Francesco II, décide très vite d’aménager un studiolo dans une tour du vieux Castello di San Giorgio. Les travaux dureront plus de vingt ans.

Elle confie à Mantegna les deux premières toiles du cycle, Le Parnasse et La Minerve (1502), mais jugeant son art dépassé, se tourne vers les peintres les plus célèbres de la nouvelle génération : elle sollicite en vain le concours de Giovanni Bellini, de Léonard de Vinci et de Francesco Francia mais elle n’obtient, en 1505, que le décevant tableau du Pérugin ; Lorenzo Costa, le nouveau peintre de la cour à la mort de Mantegna (1506), terminera la décoration avec deux tableaux livrés entre 1506 et 1511.

Le Parnasse et La Minerve ont été peints par Mantegna pour figurer l’un en face de l’autre, comme le démontre la lumière provenant de la gauche dans le premier tableau et de la droite dans le second.

Un an environ après la mort de son mari (1519), Isabelle transfère son studiolo au rez-de-chaussée de la Corte Vecchia. Dans son nouvel appartement, elle associe à l’ancienne série de tableaux deux Allégories de Corrège, exécutées vers 1530.

L’agencement de l’exposition, tout en invertissant le sens du parcours, reproduit la disposition exacte du second studiolo d’Isabelle.


Mantegna et les thèmes du studiolo

Les cinq toiles conçues pour le premier Studiolo, celui du Castello di San Giorgio, ont toutes pour propos la victoire des Vertus sur les Vices mais on ignore si elles obéissaient à un programme iconographique d’ensemble, défini au départ.

Le premier tableau commandé par la marquise à Mantegna et livré en 1497, contient déjà en germe des thèmes qui seront aussi développés dans les autres tableaux, à savoir le triomphe de l’amour spirituel sur l’amour terrestre et la célébration des arts à la cour de Mantoue. L’évocation des amours de Mars et Vénus pouvait être perçue comme une allusion au couple formé par François II et Isabelle, mécène et protectrice des muses.

La présence dans Minerve chassant les Vices du jardin de la Vertu, la seconde peinture, achevée en 1502, d’idées et de motifs qui obsèdent l’artiste depuis ses débuts, laisserait néanmoins penser que celui-ci a joué un rôle déterminant dans sa conception : thème de l’Ignorance comme ennemi de la Vertu, nombreuses inscriptions en divers alphabets, nuages et arbre anthropomorphes ou personnifications grotesques des Vices chassés par la déesse guerrière, à l’allure énergique et majestueuse.

 

Minerve chassant les Vices du jardin de la Vertu

Les Vices de droite à gauche :

  • L’Avarice et l’Ingratitude transportant l’Ignorance avec une couronne.
  • Un satyre
  • Un centaure sur lequel se tient la Venus terrestre (Luxure)
  • Un personnage simiesque, la Haine immortelle, portant des bourses contenant les semailles du Mal, du Pire et du Mal extrème
  • L’Oisiveté sans bras trainée par l’Inertie

 

Les Vertues

  • Daphnée est transformée en arbre
  • Au Fonds, il y a Diane et la Chasteté avec sa torche éteinte
  • Dans le nuage,  la Force avec sa massue, sa colonne et sa peau de lion d'Hercule, la Tempérance qui verse du vin, et la Justice, avec son glaive et sa balance.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le Parnasse

 

 

 

  1. Les Triomphes de César

La réputation de Mantegna est largement fondée sur le cycle des Triomphes de César dont les compositions ont été très tôt copiées et gravées, suscitant l’admiration de Corrège, Rubens, Poussin, ou Goethe. Les neuf toiles peintes sont acquises par Charles I d’Angleterre à la fin des années 1620 et présentées au palais de Hampton Court depuis 1630.

Cette entreprise grandiose a certainement occupé Mantegna jusqu’à la fin de ses jours mais on ignore quand elle fut lancée (le jeune duc d’Urbino admire néanmoins certains des Triomphes en 1486), pour quelle destination elle fut conçue, et qui fut le commanditaire de cet impressionnant défilé militaire – le marquis Federico ou Francesco qui lui succède en 1484.

Si l’imagerie triomphale était omniprésente en Vénétie, ainsi que le montrent certains manuscrits, cette reconstitution visuelle exemplaire d’un épisode majeur de l’histoire antique, est avant tout le fruit de l’imagination épique de Mantegna.

Les Triomphes illustrent des personnages de tout âge et de tout genre (soldats, clairons, prisonniers, animaux domestiques et bêtes exotiques) et les objets les plus variés (trophées, armes, enseignes, drapeaux...). Un monde entier défile en grandeur nature, vu du bas, comme s’il déambulait sur une scène de théâtre.

 



02/04/2012
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